Le puits
La main qui se tend
Vide
Le gouffre avait les yeux délicatement fardés
La jambe fine et rapide pour me fuir
*
Point lumineux sur le front ridé du large, tu déchirais la peau brumeuse de l'horizon, tu m'inventais des pas, tu caressais l'orage, tu lui murmurais la pluie, mes bras découverts sur la frontière écarlate de ton nom
Tu glissais, madrépore noué sur la corde tremblante de mon souffle, et je m'enivrais de tes reculs
J'étais Zeus et la Foudre vaincu par ton peuple de Titans
*
Pas à pas te livrant à mon délire, à ma folie de toi, tu ponctuais de séismes le balancement des éclairs par les nuits de grands déserts fauves
Tu écartais les draps et le verbe pour délivrer les antiques esclaves des peurs irrémissibles
Et de tes lèvres rieuses lacérées d'énigmes un baiser d'argent en fusion venait frôler la Mort et ses cuisiniers en robes de lin
Tu me dérobais à chaque heure mêlée le sceau de l'orgueilleux savoir et me laissais nu, hors de toute épave et de tout lieu
Toi qui sous la cendre construisait d'invincibles palais à mes ivresses aveugles
*
Toi qui m'a livré
Le Sud et ses vallons brûlants
Le Nord et sa mémoire d'orgeat
L'Ouest et ses briques de chairs ou de sang
Et l'Est pour consolation et mascarade
*
Toi qui de moi fit un Souverain intolérant de ses propres marées et du dernier souffle du dernier départ du dernier adieu du dernier passant du dernier geste du dernier élan
Toi que je rencontrai, plus tard, nue et impitoyable, au coin d'une rue palatine, fermée à mes nuits comme à mes orages, et dispersée en flambeaux par les processions distraites d'adorateurs dérisoires
Toi que j'ai rêvée, endormie, prise et reconnue
Pour ultime et irréversible gardienne de l'instant de pur abîme
Ce puits où s'est à jamais éteinte l'attente nostalgique de la Chute
Et son écharpe d'étincelles sonores.
Pierre Charp, Août 2008